Canicule estivale : la triple vulnérabilité des personnes âgées.

Les 15 000 morts des suites de la canicule de 2003 en France sont encore dans toutes les mémoires. Ces décès, pour une bonne part évitables, sont devenus un motif de scandale, l’indice des carences des administrations de la santé face au dévouement des médecins urgentistes, des infirmières et des généralistes. Le problème est toutefois plus profond que la seule question des délais de réponse de l’État. La surmortalité de l’été dernier est d’abord la conséquence des vulnérabilités spécifiques aux personnes âgées, lesquelles renvoient à la façon dont s’organise leur prise en charge, médicale et sociale.

Les rétrospectives de l’année 2003 qui fleurissent tant dans les médias généralistes et grand public que dans la presse médicale font toutes référence à la canicule de l’été passé et à ses conséquences mortelles pour les personnes les plus âgées, à cette catastrophe sanitaire pour reprendre un des termes les plus fréquemment utilisés pour qualifier la surmortalité observée dans la première quinzaine du mois d’août. Ces mentions récentes ne sont pas un simple rappel convenu mais elles s’inscrivent dans un processus quasi ininterrompu tout au long des mois passés d’évocation de cette catastrophe, pas seulement à l’occasion de multiples reportages centrés sur l’explicitation du déroulement technique et politique des évènements, mais qui s’exprimait aussi dès qu’il était question de la situation du système sanitaire français par exemple face aux épidémies de grippe ou de bronchiolite de l’hiver. Ce rapprochement systématique a ainsi contribué à faire des conséquences sanitaires de la canicule un symbole médiatique de la crise des urgences hospitalières et plus largement de l’hôpital, et à reléguer à l’arrière-plan les facteurs liés à la situation même des personnes âgées et à leurs conditions de vie. Ce déplacement sur les aspects médicaux au détriment des aspects sociaux d’un problème n’est pas inhabituel et ne saurait être imputé aux seuls médias. Dans le cas présent, il sert à l’évidence les intérêts des professionnels du soin, confrontés à de difficiles mutations du système médical. On peut néanmoins s’interroger sur les mécanismes et la portée d’un tel glissement alors même que cette catastrophe sanitaire estivale est le résultat de causes multiples tant, sinon plus, sociales que médicales, et apparaît dans différentes dimensions comme un révélateur particulièrement pertinent de l’implicite de nombreux choix sociaux antérieurs.

Avant tout il fallait chiffrer, mesurer la surmortalité, la caractériser au moins dans ses grandes lignes et tenter d’identifier les facteurs en cause. Mais il a fallu simultanément comprendre l’enchaînement des décisions publiques pour répondre à la polémique qui s’est presque immédiatement déclenchée quant à la mobilisation des moyens nécessaires qui auraient pu permettre d’informer, de prévenir et donc éventuellement de réduire les conséquences mortelles de la canicule.

Très rapidement, trois types de cause ont été avancés : la vulnérabilité spécifique des personnes âgées du fait de leur non-appréciation de leurs besoins d’hydratation ; l’engorgement des urgences consécutives au manque de personnel et à la carence du recours à la médecine générale ; le retard de réaction des pouvoirs publics et notamment du ministère de la Santé et le défaut d’alerte en amont. Parmi ces explications certaines se sont ensuite révélées erronées. C’est le cas par exemple de l’évocation d’une plus grande mortalité de personnes âgées isolées à domicile relançant immédiatement l’anathème sur les carences des familles totalement défaillantes ou parties en vacances sans prendre les mesures indispensables de surveillance et de relais auprès de leurs proches. On pourrait trouver d’autres exemples dans chacune des autres dimensions évoquées. Quoi qu’il en soit, il semble raisonnable de considérer qu’un fort effet synergique et cumulatif des principales causes a spécifiquement joué dans le cas des personnes très âgées du fait de leur vulnérabilité particulière. Cette vulnérabilité est complexe et repose sur de multiples dimensions tant physiologiques que sociales qui permettent de comprendre pourquoi elles ont été les principales victimes des effets sanitaires de cette canicule.

Les personnes âgées en première ligne

Les constatations chiffrées sont sans ambiguïté. Les certificats de décès du mois d’août 2003, comparés aux données de mortalité des années antérieures ont comptabilisé 14 802 décès surnuméraires entre le 3 août et le 20 août 2003, soit un accroissement de 60 %. Cet excès de décès d’environ quatre cent le 4 août, a ensuite augmenté régulièrement et massivement au cours de la période, passant par un pic de près de 2 200 décès supplémentaires le 12, déclinant jusqu’au 19 et retrouvant un taux normal au cours de la semaine suivante. Au-delà de cette stricte comptabilité, un certain nombre de caractéristiques socio-démographiques et géographiques ont été identifiés. Ces décès en surcroît concernent quasi exclusivement des personnes âgées, voire très âgées (plus de 75 ans) et leur proportion croît avec l’avancement en âge (+ 120 % à 95 ans et plus). La surmortalité se trouve en outre particulièrement concentrée dans les grandes villes et d’abord dans l’agglomération parisienne et dans les communes de la proche couronne. Les régions les moins touchées sont les régions côtières et les régions méridionales, traditionnellement les plus chaudes de France.

Toutes ces données mettent en évidence que les différents facteurs associés à la surmortalité et plus particulièrement l’âge, le sexe, le nombre de jours de canicule et le degré d’urbanisation, ont agi de façon synergique et se sont additionnés. Ils permettent de constater également que seuls 30 % de ces décès sont dus à des causes directement liées à la canicule (le classique coup de chaleur, l’hyperthermie et la déshydratation).

La vulnérabilité à la chaleur : un processus cumulatif bien documenté

Les études disponibles sur les conséquences pathogènes des périodes de forte chaleur diurne et/ou nocturne issues du Center for disease control américain ou d’observations effectuées en particulier en Grèce font consensus autour de trois types de facteurs de risque liés de plus entre eux : la pauvreté, l’isolement social et l’état de santé déficient. Plus récemment, on a commencé à parler d’agressivité urbaine qui allie îlots de chaleur et pollution atmosphérique en un processus synergique indissociable.

Les causes et explications possibles susceptibles d’effets de synergie ou de potentialisation à l’œuvre dans les manifestations de la canicule de l’été 2003 pointent ainsi tout à la fois une triple vulnérabilité physique, sociale et environnementale des Français les plus âgés et suggèrent en outre que les réponses médicales et sociales mal ou peu adaptées ont aussi pesé. La vulnérabilité physique renvoie sans surprise à l’état de santé généralement dégradé des personnes âgées, mais elle doit sans doute conduire à ré-ouvrir des questions jusque-là négligées ou mal appréciées concernant la physiologie du vieillissement. Cette vulnérabilité des vieillards dépend également en partie de l’adéquation des réponses médicales disponibles à leurs besoins et à leurs conditions de vie et de déplacement spécifiques. La vulnérabilité sociale interroge plus directement les modes dominants de vie et de prise en charge de cette population, la disponibilité de l’entourage et les solutions collectives mises en place. Les vulnérabilités et facteurs de risque environnementaux sont liés aux caractéristiques de logement et d’urbanisme des zones géographiques où se retrouve en plus grand nombre la population la plus âgée, et à leur exposition aux concentrations de chaleur – pollution atmosphérique dans les sites urbains. À ces risques potentiels, il faut en outre adjoindre les dysfonctionnements potentiels engendrés par les spécificités de l’accessibilité aux soins des personnes âgées et le caractère plus ou moins approprié et réalisable des soins susceptibles de leur être proposés.

La vulnérabilité physique et physiologique associée à la vieillesse : un état de santé globalement déficient et des fragilités constitutives à l’âge

La canicule est un risque pathologique avéré. Sans rentrer dans la description des mécanismes physiologiques précis, on sait à ce jour qu’au-delà du coup de chaleur (hyperthermie corporelle) qui peut être induit directement par l’exposition à des températures caniculaires, les fortes chaleurs peuvent contribuer à l’aggravation très rapide de pathologies préexistantes ou encore à déclencher brutalement des pathologies latentes et non encore exprimées chez les sujets concernés. C’est en premier lieu le système cardio-vasculaire qui risque d’être le plus touché. Sont ainsi associés aux épisodes de canicule une morbidité et une mortalité par insuffisance cardiaque, infarctus du myocarde et accidents vasculaires cérébraux. En second lieu, sont concernés les maladies des voies respiratoires et différents troubles du métabolisme. La distribution de ces pathologies selon l’âge fait de la population des personnes les plus âgées et dont l’état de santé général est déjà marqué par les effets non pathologiques du simple vieillissement physique, un groupe particulièrement vulnérable car souffrant de pathologies multiples.

On sait également que la prise régulière de certains médicaments rend l’organisme plus vulnérable du fait de la réduction de certaines fonctions thermorégulatrices. C’est le cas des neuroleptiques. Sont également considérés comme problématiques en cas de fortes chaleurs, les produits anxiolitiques, certains antidépresseurs et les médicaments antihistaminiques contre les allergies, ou encore les traitements destinés à lutter contre la maladie de Parkinson. Cela concerne enfin la prise de diurétiques. On sait par ailleurs que globalement les Français sont de gros consommateurs de médicaments, plus que la plupart des populations européennes, et que parmi eux, une consommation particulièrement forte est le fait des plus âgés dont les thérapeutiques prescrites associent quotidiennement plusieurs spécialités pharmaceutiques auxquelles peuvent s’ajouter des médicaments non prescrits et achetés librement en pharmacie.

Une vulnérabilité sociale : isolement relatif et place sociale des personnes âgées

La notion d’isolement identifiée dans les études épidémiologiques antérieures rassemble des individus de tout âge, dénués de réseau social et vivant en situation précaire, et n’a pas été pensée en fonction de la seule population des personnes âgées. Par ailleurs, le thème de l’isolement des personnes âgées est un thème récurrent, notamment en France mais pas seulement, dans les débats concernant la situation de vie des personnes âgées et l’implication de leurs entourages familiaux dans lesquels sont inextricablement mêlées positions idéologiques plus ou moins fondées et données quantitatives plus ou moins contestées.

La vindicte contre la supposée démission des familles a d’ailleurs immédiatement resurgi au mois d’août. Des propos émanant des plus hautes autorités de l’État ont mis une nouvelle fois en cause le délaissement des personnes âgées par leurs familles parmi les facteurs explicatifs de la surmortalité observée au seul vu de reportages montrant des décès survenus au domicile, de personnes âgées vivant seules. L’idée de cette carence familiale a été entretenue ensuite à propos de la mise en place d’une cellule de recherche de membres de familles pour procéder à l’inhumation des quelques corps de personnes décédées non encore réclamés sans prendre simultanément la mesure que le nombre d’individus concernés n’était absolument pas exceptionnel et se situait dans une fourchette de chiffres attendus. Compte tenu des mouvements démographiques bien connus (migration, nuptialité, mortalité), une part non négligeable de la population âgée se retrouve inexorablement sans famille. Peut-on pour autant faire immédiatement le lien entre vivre seul et vivre isolé pour une personne âgée comme pour d’autres individus plus jeunes, d’autant que les premiers chiffres disponibles de mortalité associée à l’épisode de canicule, même si des études approfondies restent nécessaires, ne suggèrent pas d’effet manifeste de surmortalité chez les personnes âgées vivant seules.

On sait que 42 % des décès en excès sont survenus dans les hôpitaux, 35 % à domicile, 19 % en maison de retraite et 3 % en clinique privée. Ces chiffres ne peuvent pourtant pas être comparés en l’état pour au moins deux raisons : d’une part, les effectifs de personnes concernées en totalité et par classes d’âge diffèrent fortement, la grande majorité des personnes âgées vivant à domicile et, d’autre part, l’état de santé initial des personnes dans ces lieux diffère sensiblement, influant directement sur leur niveau de vulnérabilité aux risques associés aux fortes chaleurs. Les chiffres issus du rapport de l’INSERM montrent ainsi sans ambiguïté que les taux de surmortalité en maisons de retraite et au domicile sont similaires, le nombre de décès étant en moyenne multiplié par deux. On ne saurait ainsi dire que les personnes vivant en maison de retraite vivent isolées même si nombre d’entre elles n’ont plus ou pas de famille proche. Ce diagnostic vaut également pour les morts survenues à l’hôpital. Par ailleurs, le maintien à domicile des personnes les plus âgées et les plus dépendantes n’est souvent possible qu’avec le recours à des associations professionnelles d’aide à domicile. Là encore la notion de vie seule et d’isolement est à discuter dans les faits. C’est ainsi plus largement à une réflexion sur les conditions concrètes de vie des personnes âgées et de façon globale à la place de ces personnes dans la société française et aux modalités collectives de leur prise en charge, que nous amène l’interrogation sur la vulnérabilité sociale des personnes âgées. Si on ne peut évoquer la notion d’isolement au sens strict, on peut néanmoins parler d’isolement relatif par rapport à des besoins latents à percevoir, des mesures à prendre ou des gestes à accomplir plus ou moins dans l’urgence, ou encore de plages temporelles d’isolement trop larges entre divers passages d’intervenants familiaux ou professionnels, ce qui renvoie alors plus à une notion d’encadrement de vie insuffisant. Ce constat vaut tout autant à domicile qu’en institution et c’est sans doute un des enseignements majeurs à tirer des évènements de l’été 2003.

En ce qui concerne la prise en charge institutionnelle, en maison de retraite ou en établissement médicalisé, on déplore de façon chronique l’insuffisance de personnel, parfois trop peu formé, mal préparé aux aléas thérapeutiques. Telle est également la situation dénoncée par les établissements hospitaliers pour les services d’urgence mais pas seulement. Confrontées aux congés d’été, on conçoit la faible, voire l’absence de marge de manœuvre de ces institutions au mois d’août. Car ce qui a été en jeu relevait plus de la présence au côté des personnes âgées que d’une réponse médicale technique. Car en l’absence de locaux climatisés où faire séjourner au moins quelques heures par jour les personnes à risque, cela nécessite essentiellement du temps en personnel qu’il s’agisse de surveiller la personne, de l’hydrater et de la rafraîchir régulièrement au moyen de bains ou d’enveloppements, de veiller à une aération la meilleure possible et d’effectuer des gestes de prévention au demeurant assez simples.

Ce qui n’était pas réaliste en institution ne pouvait pas plus l’être en situation de vie à domicile même avec l’appui organisé de professionnels. Ceux-ci interviennent en effet dans des plages horaires prédéfinies et n’assurent généralement pas de présence vingt-quatre heures sur vingt-quatre sauf situations particulières. En ce cas d’ailleurs, ceci n’est possible à domicile qu’en coordination étroite avec la famille ou dans un processus de cohabitation ou de proximité étroite des logements. Pour beaucoup, cette présence professionnelle intermittente est tout juste suffisante mais son amplitude s’inscrit dans des contraintes financières et de disponibilité de personnels qualifiés très prégnantes. Et s’il s’est avéré possible dans la plupart des cas d’apporter à boire aux personnes seules et limitées dans leurs déplacements ou dans leurs capacités à comprendre cette nécessité, il n’était que rarement envisageable de les accompagner quelques heures dans des lieux climatisés (magasins, cinémas, etc., tel que cela se pratique par exemple dans certaines villes américaines !). C’est de cette rigidité que naît le plus souvent une forme de vulnérabilité sociale qui repose certes sur les modes d’organisation de l’intervention à domicile, mais d’abord (et comme pour les maisons de retraite) sur les modalités de financements collectifs de ces prestations aux personnes âgées et les parts des ressources que le pays accepte de mettre à leur disposition. Or, la comparaison internationale, et même européenne, apporte des arguments à tous ceux qui dénoncent la faiblesse des financements et de l’effort français envers les personnes âgées les plus dépendantes, les plus fragiles ou les plus vulnérables.

La vulnérabilité environnementale a trait aux conditions de logement individuelles et collectives, types d’habitats et zones géographiques d’implantation et apparaît tout aussi tributaire d’impératifs financiers. Les inégalités sociales et financières perdurent, voire s’accentuent au terme de la vie et, dans nombre de situations, les ressources individuelles des personnes âgées déjà les plus vulnérables socialement contraignent leurs possibilités d’accès à un logement. Celui-ci est alors situé plus souvent en rez-de-chaussée ou sous les toits, et dans les centres-villes urbains, là même où risque de se produire la convergence des îlots de chaleur et de pollution urbaine, contribuant à la surmortalité constatée dans les grandes villes, Paris et sa petite couronne. Le type d’habitat et les modes traditionnels de construction ainsi que les habitudes de vie dans les régions traditionnellement les plus chaudes ont également à voir avec les inégalités régionales de surmortalité. Il n’est pas besoin d’argumenter plus pour prendre la mesure des processus de synergie qui lient ces différents facteurs et renforcent leurs effets pathogènes. Or, l’appareil de soins apparaît souvent incapable de réduire l’impact de ces effets cumulés quand il n’est pas lui-même en partie inadapté et générateur de dysfonctionnement aggravant.

Une vulnérabilité « sanitaire » : l’inadéquation potentielle des réponses médicales pour les personnes âgées

L’analyse des réponses médicales proposées lors de la canicule du mois d’août 2003 et de leurs modalités de mobilisation implique de s’interroger sur le fonctionnement même du système de soins, ses modes d’organisation actuels, et met en discussion leur adéquation aux besoins de certains groupes cibles. On l’a vu, les processus physiologiques mis en cause par l’exposition durable à de fortes chaleurs peuvent intervenir très rapidement avec des conséquences sévères dans un délai très court. Il n’est donc pas étonnant que les services hospitaliers d’urgence aient été mobilisés en priorité. Néanmoins, on l’a vu également, les réponses précoces en cas de canicule ne relèvent pas de pratiques médicales très techniques et la technologie très pointue des services d’urgence n’en fait pas des lieux adaptés pour de telles prises en charge. Par ailleurs, on connaît bien les effets délétères à terme d’une hospitalisation brutale pour les personnes âgées. Mais dans la situation de l’été, il n’y avait pas d’autre issue et le recours aux urgences hospitalières se présentait comme la suite inéluctable d’un processus mal maîtrisé d’évolution du système de soins français qui contribue à laisser aller vers ces services toute demande qui n’a pas su, voulu ou pu s’adresser en premier recours à un cabinet médical de ville, indépendamment du véritable caractère d’urgence de la situation morbide. Il n’a en effet pas été possible jusqu’ici de penser l’existence de structures alternatives pour « petites » urgences ou urgences sociales mais non vitales. Certains services d’urgences, notamment dans les grandes villes les plus touchées, se sont alors très vite trouvés débordés par rapport à leurs capacités d’accueil réduites aux anticipations de besoins de la seule population présente au cœur des villes au mois d’août, rendant crédible la dénonciation faite depuis plusieurs années du caractère trop drastique de ces restrictions estivales de personnels et de lits. Puis, par contagion, ont été décrits le manque chronique d’infirmières pour, dans le cas présent, poser des perfusions, mais aussi pour faire plus simplement des toilettes ou surveiller plus spécifiquement les personnes âgées, et le problème des compétences requises non seulement pour assurer les actes de soins quotidiens mais pour développer une perspective de prévention, pouvoir mieux apprécier ce qui se dégrade et agir par anticipation plutôt que réparer ou compenser après coup. Ces lacunes se constatent autant à l’hôpital que dans les institutions spécialisées pour personnes âgées.

Dans ce contexte de recours massif aux urgences hospitalières, les généralistes ont été dans un premier temps attaqués à propos de la fermeture concomitante d’un trop grand nombre de cabinets puis dédouanés au vu d’une simple comptabilisation de leur taux de présence. La question se pose alors de leurs possibilités d’intervention en situation de canicule. On l’a vu, les formes de réponse adéquates semblent en première instance peu médicales et doivent être mises en œuvre rapidement. Sont-elles en l’état actuel des connaissances à la portée des médecins généralistes dans leur mode de fonctionnement actuel ? On peut en douter !

Il faut sans doute poser de façon différente les questions évoquées plus haut de prévision et d’alerte sanitaire, de la qualité des anticipations épidémiologiques, de leurs modalités de mise en œuvre, ou encore du rôle des médias et de la recevabilité sociale et professionnelle des informations proposées. Si l’on accepte l’idée que la solution optimale face aux chaleurs intenses se trouve essentiellement dans la généralisation de la climatisation, la réponse aux questions précédentes n’a pas vraiment de pertinence. Mais il ne s’agit que d’une réponse à courte vue. De plus, il faut considérer que la généralisation de la climatisation est par elle-même pathogène en contribuant d’une part, à renforcer les îlots de chaleur urbains et, d’autre part, par les risques de dissémination de légionelloses aux conséquences parfois mortelles. Quelle stratégie faut-il alors privilégier ?

Quelle que soit la forme de vulnérabilité considérée et du fait de leur inévitable synergie, les effets de la canicule apparaissent comme de bons révélateurs des choix de société opérés en amont. On peut ainsi se poser la question des raisons qui font que notre système de santé se préoccupe plus des risques alimentaires, même non prouvés, qu’environnementaux et que la probabilité de survenue en France de risques climatiques, pourtant avérés et décrits, restait inenvisageable et donc inaudible. Ces disparités résultent de processus complexes relatifs à la perception différentielle des risques (les risques infectieux font plus peur que d’autres !), à la spécificité des groupes de victimes potentielles ou encore au degré d’anticipation des possibilités techniques d’agir. Mais on l’a dit, cette crise sanitaire conduit également à s’interroger sur la place des personnes âgées dans ses différentes dimensions sociales, économiques et organisationnelles, ou encore en ce qui concerne les modes de vie les plus appropriés à leur situation. Assistons-nous, du fait de l’allongement inédit de la durée moyenne de la vie humaine, à la création physiologique et sociale d’une nouvelle étape de la vie ? Comment alors la constituer collectivement ? La vieillesse doit-elle être appréhendée comme un état, une situation, ou un processus ? De la réponse à ces questions dépend, non seulement la compréhension des phénomènes en cause, mais les logiques de solidarité à promouvoir et l’orientation des pratiques et des formes collectives de prises en charge confrontées directement à la question de savoir par exemple qu’est-ce qu’un lieu de vie raisonnable ou encore qu’est ce qu’un traitement médical raisonnable pour une personne âgée ?

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